Reproduction de la jument : quelques vérités et faux semblants

Paru le 17/08/2003
Rédigé par Claudine HEILIG

  CHRONIQUE D'ELEVAGE

 fopke.JPG Fopke de l'Eimerbach & Kourt de l'Ischthal            Propriétaire/Eleveur : Claudine HEILIG 

Reproduction de la jument : quelques vérités et faux semblants

La saison se termine et normalement la plupart des juments sont pleines. Comme vous le savez la moyenne des juments prend en 2 chaleurs et au delà de 3 chaleurs correctement utilisées avec un étalon fertile, il faut rechercher un éventuel problème. Au fil des conversations entre éleveurs, je me rends compte que les mêmes débats sont souvent lancés ! Comme toujours, tout le monde a un peu raison, car rien n’est tout blanc ou tout noir, surtout en matière de reproduction de la jument.

Le cycle de la jument présente des particularités encore inexpliquées

VRAI ! Tous les éleveurs expérimentés le savent : les juments ne font pas toujours comme les autres espèces animales. Certes, comme pour toutes les femelles domestiques, la cyclicité de la jument suit des règles physiologiques et hormonales générales, mais ce qui est troublant est le fait que 80 % des juments suivent la règle et que 20 % y dérogent régulièrement ! Prenons quelques exemples classiques. La plupart des juments ne sont plus chaudes 1 à 2 jours après l’ovulation, mais certaines le sont encore trois jours après et certaines juments pleines se laissent saillir !
Autre exemple : « normalement » la jument fait comme les autres espèces animales, elle n’ovule que lorsqu’elle est chaude. En effet, entre deux chaleurs le taux de progestérone est élevé et cela bloque l’ovulation des femelles domestiques. Malheureusement certaines juments ovulent régulièrement entre deux chaleurs et l’on se retrouve alors avec 2 ou parfois 3 corps jaunes et une jument bloquée plusieurs semaines si l’on ne fait rien. Aussi incroyable que cela puisse paraître cette particularité physiologique courante reste inexpliquée à ce jour !
D’autre part nos juments frisonnes sont des tardives quand à l’ovulation, alors que l’on inséminera une jument autre avec un folécule de 38 à 42 en urgence, sous peine de la voir éclater à chaque instant, la jument frisonne elle ne sera prête à être inséminée qu’avec un folécule au-delà de 48 pour éclater aux environs de 56 à 58 voir même au delà.


La chaleur de lait est une mauvaise chaleur

VRAI & FAUX ! Prenez deux éleveurs et faites leur parler de la chaleur de lait : dialogue garanti. Pour certains, vive la chaleur de lait, pour d’autres ils faut l’éviter. Tous deux ont raison car ils ne parlent pas de la même chaleur de lait. Avez-vous réalisez que juste après le poulinage l’utérus a une contenance d’environ 70 litres (poulain plus enveloppes plus eaux fœtales) et que vous lui demandez de revenir à une capacité normale d’un seul litre en une dizaine de jours ! Vous avez bien lu. Il faut donc que l’utérus se « débarrasse »de toutes les cryptes du placenta puis involue à la vitesse de 7 litres par jour ! Vous avez alors tout compris : quelques jours de plus ou de moins vont faire toute la différence. Les statistique de fertilité sont bien connues depuis longtemps : la fertilité de la chaleur de lait est équivalente à la chaleur suivante si l’ovulation a lieu au moins 10 jours après le poulinage. Vous pouvez donc faire examiner votre
jument vers 9 à 10 jours après la naissance. Si la jument a déjà ovulé : aucune importance, une injection de prostaglandine la remettra vite en chaleur, vous n’aurez perdu que 8 à 10 jours mais gagné 8 à 10 jours d’involution utérine ! Par contre si la jument n’a pas encore ovulé au 10ème jour et que le poulinage et délivrance se sont bien passé, que votre jument est propre, on peut utiliser la chaleur de lait sans problème. Dernier petit conseil : l’ovulation sur la chaleur de lait est parfois rapide (4 à 5 jours) et la seconde chaleur se présentera alors vers le 20ème jour après poulinage et non le 30ème ou tout sera fini !

Les jumeaux doivent toujours être écrasés

FAUX ! Les oppositions sur l’attitude à adopter face à des jumeaux semblent moins fréquentes qu’il y a quelques années . C’est vrai que pour être clair sur ce sujet on est obligé de rentrer un peu dans les détails. Avant le 16ème jour post ovulation, toutes les vésicules embryonnaires bougent de minute en minute et elles peuvent être collées, séparées quelques heures après, puis recollées, etc.
Par contre après 16 jours, plus rien ne bouge car les vésicules sont trop grosses.
A ce stade si les vésicules sont séparées, elle grandissent l’une vers l’autre jusqu'à un avortement tardif dans la plupart des cas. On a alors intérêt à écraser l’une des vésicules le plus tôt possible (avant 25-30 jours). Par contre si les vésicules sont collées après 16 jours ils deviennent très délicat d’en écraser une sans abîmer l’autre. Heureusement la nature est bien faite car près de 3 fois sur 4 une des deux vésicules disparaît au cours des 40 premiers jours. Le seul problème est qu’il faut attendre jusque vers 40 jours. Mais rappelez vous que se sont les mêmes juments et leurs filles qui sont prédisposées aux ovulations doubles donc aux jumeaux car il existe vraisemblablement une prédisposition héréditaire.

Suturer la vulve de la jument n’a pas d’inconvénients

FAUX ! Les deux éleveurs qui discutaient âprement de la chaleur de lait on s’en doute poursuivi leur conversation sur l’intérêt des sutures vulvaires ! Soyons nets : le but d’une suture est d’empêcher l’air de rentrer dans le vagin ce qui peut contaminer l’utérus et entretenir une infection utérine. La jument peut ne pas prendre ou couler. L’air ne rentre que si la conformation de la vulve est anormale (défaut de position ou d’angle avec défaut de tonicité des lèvres vulvaires).

Ces anomalies de conformation on une composante héréditaire. Chez certaines juments l’anomalie est nette car la jument « pompe » sans cesse, tandis que chez l’autre jument l’air ne rentre que transitoirement et le développement d’une inflammation utérine dépendra d’autres facteurs : fréquence des saillies ou inséminations, importance de la contamination, défenses propres de l’utérus, efficacité de l’anneau vestibulaire, etc. Certaines juments ont donc un besoin rapide de suture tandis que pour d’autres il est préférable de la faire pour mettre plus de chance de son côté. Enfin les juments ayant une vulve normale n’ont pas besoin de suture du tout ! La hauteur et le type de suture dépendent de l’anomalie de conformation et n’ont qu’un objectif : limiter l’entrée d’air. Si la suture doit-être basse pour empêcher l’air de rentrer, la saillie ou insémination pourront déchirer la suture sur quelques centimètres et le vétérinaire refera un ou deux points. Si la suture est épaisse et que la jument n’a pas été désuturé avant le poulinage (souvent une semaine avant) le poulain pourra buter sur suture et causer une déchirure importante de la vulve. Dans certains cas, juste après l’ovulation, le vétérinaire peut rapprocher provisoirement les lèvres vulvaires avec des agrafes puis suturer « définitivement » après le premier diagnostic de gestation. Enfin il est fréquent d’entendre que si l’on suture il faudra toujours suturer ! Vous avez donc compris que le problème ne se pose pas ainsi ! On suture s’il y a anomalie de conformation le justifiant et rien de plus.

Le prélèvement bactériologique utérin est très fiable

FAUX ! Le prélèvement bactériologique utérin a pour objectif de savoir si des bactéries sont présentes dans l’utérus. Pour cela on introduit un écouvillon stérile dans l’utérus. Si une bactérie est présente sur l ‘écouvillon, cette bactérie provient elle nécessairement de l’utérus ? Non car on passe à l’aller et au retour au travers de zones riches en bactéries. Inversement , si l’on ne trouve pas de bactéries dans l’écouvillon, cela veut’il dire qu’il n’y en a pas dans l’utérus ?
Encore moins ! Il est même fréquent qu’un utérus soit anormalement enflammé et que le prélèvement bactériologique soit négatif. Si l’on fait que la bactério on passe alors à côté du problème… Comment le savoir : en faisant une cytologie de l’utérus c’est à dire en regardant si la lumière de l’organe contient ou non des globules blancs. Cette cytologie est plus fiable car l’absence de globules signifie absence d’inflammation et le résultat ne nécessite qu’un microscope et de 15 minutes de préparation. Si des globules blancs sont présents, c’est anormal (signe d’inflammation) et on réalise une bactériologie pour rechercher la cause de l’inflammation.

L’utérus d’une jument normale est incroyablement résistant

VRAI ! Dans la nature l’étalon peut saillir la jument plusieurs fois par jour pendant plusieurs jours. Il y a de la poussière, pas de bande de queue et pas de triple savonnage de la vulve ! L’espèce équine est même une des rares espèces où le sperme du mâle est directement déposé dans l’utérus de la femelle car le col est entièrement ouvert et ne sert donc pas de « filtre » : la contamination de l’utérus est donc naturellement massive. Pour y répondre l’utérus va se contracter pendant plusieurs jours et avec l’aide de très nombreux globules blancs l’utérus sera parfaitement propre pour l’arrivée de l’embryon au sixième jour. Le « système » est donc très bien fait : contamination massive, défenses massives, embryon caché dans les trompe 5 jours puis descente de l’embryon de
la trompe à l’utérus au sixième jour.
Pourquoi ce système peut t’il se dérégler ? D’abord dans les conditions naturelles la sélection ne donne aucune chance aux juments infertiles. Il est par exemple très intéressant de constater que les anomalies vulvaires ou de rétention placentaire sont particulièrement rares.
A l’inverse dans la race Frison où la sélection en race pure sans introduction de sang nouveau a profondément évoluée depuis l’utilisation de l’insémination artificielle. Cette dernière a pu mettre en évidence des problèmes d’élevage des juments où tout est fait pour faire naître des produits issus de jument à priori « peu fertiles », ces problèmes sont très fréquents et des lignées entière de juments en portent ainsi les conséquences. Un grand nombre de jument frisonnes (environs 35 %) ont une rétention placentaire de plus de six heures. Ce problème cause une perturbation de l’involution de l’utérus qui réduit grandement les chances de gestation pour la saison en cours. D’autre part un grand nombre de juments ne montrent aucuns signes de chaleurs. La palpation rectale révèle un nombre élevé d’anomalies génitales notamment le sous-développement d’ovaires. Qui est donc la jument à endométrite ou infection ou encore à rétention placentaire ? C’est celle pour qui tout se cumule : un peu plus de contamination et un peu moins de défenses utérines. Dans certains cas il y a une infection nette (liquide, écoulement) mais le plus souvent c’est une infection discrète à bas bruit, qui dure au delà des 5 jours « physiologique », ou encore un corps jaune qui s’installe pour x raison et se transforme en kyste en générant parfois, dans le pire des cas, jusqu’à la nécrose de l’ovaire et qui fait que l’embryon arrive dans un utérus ou tout le « ménage » n’a pas été fait a temps. La jument est alors simplement vide au premier diagnostic de gestation. Et si le « ménage » n’est pas entreprit par l’équipe d’insémination, vous risquez fort de vous retrouver avec une jument vide en fin de saison de saillie, tout en n’oubliant pas de régler la facture à l’étalonnier, les frais d’inséminations et d’écographies, les frais de pensions, de transports et les taxes.

Complémenter une jument en progestérone permet souvent d’éviter qu’elle coule

VRAI ! Nos deux éleveurs ne vont sûrement pas s’arrêter là de discuter si l’on évoque la question de la complémentation en progestérone pour une jument qui coule ! Comme vous le savez, pour que l’embryon puisse rester en place et être nourri par l’utérus il faut que les ovaires secrètent suffisamment de progestérone au cours des 3 premiers mois de gestation. Après, on peut même retirer les ovaires sans que la jument n’avorte car c’est le placenta qui prend le relais. Répondons tout de suite à la question : une jument peut-elle manquer de progestérone (ovaires pas assez « actif ») et couler de ce fait ? Oui.
C’est extrêmement rare chez les autres races, pourquoi, d’abord parce que la plupart des juments qui coulent le font à cause de problèmes utérins : infection latente (endométrie), fibrose glandulaire, dilatation anormale des glandes, lacunes lymphatiques(kystes), etc… Les ovaires sont donc en fait rarement la cause du problème. De plus, il existe une très grande variation normale du taux de progestérone chez les juments pleines et l’on ne peut donc pas à partir d’une simple prise de sang savoir si telle ou telle jument en secrète suffisamment. Mais chez la jument frisonne ce phénomène n’est pas aussi rare que ça. En effet le manque de progestérone à la nidation de l’embryon et une problématique plus courante que chez les autres races. Cause à effet : la consanguinité. Ce n’est donc pas un luxe de complémenter en progestérone la jument qui coule régulièrement (après avoir éliminé toutes les autres facteurs cités plus haut). Pour complémenter en hormone, il faut le faire tous les jours jusqu’au moins 90 à 100 jours de gestation, car il n’existe pas d’hormone réellement « retard » permettant d’espacer l’administration par la bouche ou sous forme d’injection.

Claudine HEILIG